Maux d’hier…

Une fois n’est pas coutume, ce que vous allez lire n’est pas de moi. Il s’agit d’un courrier déniché dans un fonds d’archives par un correspondant qui a préféré conserver l’anonymat. Cette lettre est étonnante par son sujet et par l’écho qu’elle fait à notre époque et à un supposé désastre de l’école numérique. C’est à se demander si elle n’a pas servi de source à certains auteurs… Bonne lecture.

Paris, le 26 novembre 1887

Monsieur le ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes

« La révolution du livre » est en train de fondre sur nos écoles. Par ce terme, j’entends aussi bien les usages des dictionnaires, encyclopédies, journaux, manuels scolaires (distribués aux élèves) que les cahiers de relevés de notes, les cahiers du jour et registres divers, ou bien encore les bibliothèques (accessibles aux élèves). On pourrait ajouter à cette liste les ouvrages que les élèves les plus fortunés apportent de chez eux.

Le président du conseil, monsieur Maurice Rouvier, a annoncé un « grand plan du livre pour l’école de la République » qui vise à lutter contre l’illettrisme de nos concitoyens et promet que d’ici 4 ans, tous les élèves auront un livre chez eux.

Avec tout le respect que je dois à votre fonction, monsieur le ministre, permettez-moi une hardiesse : cette idée est un désastre. Le terme peut sembler excessif, mais il est à la hauteur des dangers qui planent désormais sur notre République !

Un désastre, oui ! Car enfin, qu’est-ce qui motive notre gouvernement à prendre de telles mesures si ce n’est la volonté effrénée de proposer des choses nouvelles pour séduire le peuple ? Personne n’a pris la peine de réfléchir un instant aux conséquences de cette idée hasardeuse ! Quelle naïveté ! N’est-ce pas se rendre à la merci des éditeurs et des fabricants de bibliothèques ?

Comment imaginer que les livres puissent un jour résoudre toutes les plaies de notre instruction, voire de la société toute entière ! Non, monsieur, donner un livre à tous les enfants ne rendra pas la société plus juste, ni l’instruction plus efficace et ne redonnera pas la vue aux aveugles ! À quoi bon avoir laïcisé l’école, si c’est pour oublier la grande leçon des catholiques, qui défendent sagement la lecture de la Bible au croyant ?

Un désastre, vous dis-je ! Et sans doute encore pire que celui que nous sommes en mesure d’envisager aujourd’hui !

Aujourd’hui, l’usage des livres est certes un choix irrationnel, mais tout ce qui se pique de nouveauté doit en passer par là. Mais il reste dans le champ sacré et clos du foyer. Qu’ils sachent lire, et les enfants de France passeront leur soirée dans les bibliothèques et les cabinets de lectures, désertant le foyer domestique, détruisant la cellule familiale plus sûrement que l’alcool et la paresse.

Feint-on d’ignorer que l’imprimerie est née à Nuremberg que la presse est d’invention anglaise ? Que croit-on faire en confiant l’éveil de notre jeunesse à des créations étrangères, j’ose dire à nos ennemis de toujours ? Nos paysans, nos marins, nos artisans ont-ils besoin de livres ? Avaient-il besoin de lire, les corsaires de Surcouf, les fantassins de Valmy, les grognards de l’Empire, pour faire leur devoir ?

De surcroit, ces livres n’existent qu’au prix du saccage de nos belles forêts, dont les halliers sont sacrifiés sur l’autel des maisons d’édition ! Dégarnir ainsi le front bleu des Vosges de ses pins qui marquent aujourd’hui la plus blessée et la plus sacrée de nos frontières, c’est ajouter l’outrage à l’infamie ! S’il les faut sacrifier, ces forêts nationales, que ce soit pour faire des navires battant pavillons français, des crosses, des baguettes de tambours des fifres, des chevaux de frise !

Et puis avez-vous songé à la multiplication des voitures de poste, wagons, trains, locomotives qui seront nécessaires pour les transporter tous et donc aux risques accrus dans les transports ?

Compteriez-vous pour moins que rien la santé de notre belle jeunesse qui, mise au contact de ces livres, ne pourra échapper aux produits chimiques qui entrent dans sa fabrication ? Au papier chloré, aux émanations des encres ?  Et quand ils auront été lus et relus, manipulés par de jeunes mains inattentives et imprécautionneuses, maculés d’encre, qu’en fera-t-on ? A-t-on songé un seul instant aux montagnes de papiers sales et défraîchis dont il faudra se séparer ?

Je ne peux croire qu’il vous a échappé à quel point les livres isolent ceux qui en sont adeptes. Donner un livre à un enfant, c’est l’enfermer dans le repli sur lui-même, à l’écart de la communauté, de l’école et de la Nation. C’est l’encourager sur la pente qui lui fera bientôt lire des livres condamnés, ces Baudelaire, ces Flaubert, ces Goncourt, qui méprisent insidieusement la loi et qui le conduiront à suivre dans les journaux les misérables exploits des complots anarchistes !

Outre le fait que ce projet aurait pour les finances de l’État un coût exorbitant pour un effet désastreux, ce serait mettre directement dans la poche des éditeurs de livres et des artisans menuisiers le fruit du labeur de tout un pays.

Chercherait-on à détruire l’école de la République qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Que deviendrait le lien entre le maître et l’élève quand le livre viendrait à se placer entre eux ? Pourquoi s’évertuer à détruire ce lien puissant, fait de douceur et de fermeté, seul capable de transmettre à notre jeunesse l’amour des nobles vertus qui sont l’apanage de notre Nation ? Si la parole du maître est dans les livres, il n’est plus besoin de maîtres !

Cette lettre, monsieur le ministre est un appel ! Un appel à ne pas laisser entrer les livres dans nos écoles sans que le pays tout entier n’ait pu donner son avis sur ce projet insensé. Loin de participer à l’émancipation de notre pays, c’est à sa ruine qu’il travaille. Mais qui suis-je pour m’élever contre les soi-disant forces de progrès, ces auteurs, ces papetiers, ces vendeurs de livres qui chaque jour vous abreuvent de leurs conseils ? Je ne suis qu’un humble ingénieur parisien, un français patriote qui constate chaque jour les méfaits du livre et qui espère que sa contribution aura quelque écho auprès de votre ministère.

Je vous prie d’accepter, monsieur le Ministre, l’expression de mon plus profond respect.

 Charles – Philémond Trichou

3 Commentaires

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3 réponses à “Maux d’hier…

  1. Christian W

    rassurez-moi, c’est un fake ???

  2. docalabordage

    ca manque de source et ça m’a tout l’air d’être un fake.

  3. H. Delacroix

    D’après le site de la BNF (http://data.bnf.fr/11989279/france_ministere_de_l_instruction_publique/), l’année de l’envoi de la lettre, le Ministère était celui de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, les Cultes ayant été abandonnés l’année précédente (donc près de deux ans avant l’envoi de cette lettre, étant donné que nous sommes en fin d’année).
    Attention à bien vérifier ses sources, quand on rédige des fakes, enfin !

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