Si tout se passe bien, l’année scolaire 2016-2017 devrait se faire sous le signe de la Réforme du collège. Cette réforme implique la rédaction de nouveaux programmes et d’une nouvelle organisation de l’enseignement obligatoire en cycles qui devraient faire le lien entre l’école élémentaire et le secondaire, liant CM1/CM2/6e dans une continuité logique des apprentissages. Je vous explique tout cela pour commencer parce que mes chers Keskelledit* qui me lisent ne sont peut-être pas au fait de ce qui met en ce moment le monde éducatif en ébullition, au point que certains se disent prêts à « entrer en guerre ». Oui, je sais, ce sont des propos un peu ridicules, mais bon, il y a des Pichrochole** partout, même dans la maison Éduc’ Nat’.
La Réforme du collège et ses conséquences.
Une des conséquences de cette révolution, que nous sommes nombreux à espérer vraiment copernicienne, sera qu’en 2016 les programmes de tous les niveaux seront bouleversés, dans toutes les matières.
Dans le primaire, les collègues ont une classe, parfois à deux ou trois niveaux. Dans le secondaire on a rarement moins de trois niveaux. Quand ce n’est pas quatre (en éducation musicale par exemple) ou sept quand on a la chance d’être remplaçant, voire plus.
Bref, on commence à s’inquiéter dans les salles de profs du fait qu’il va falloir TOUT refaire. Et que ça va pas se faire tout seul.
Heureusement, il y a les manuels scolaires !
Mais, me direz-vous, les enseignants n’ont-ils pas à leur disposition la bouée de sauvetage ultime : le manuel scolaire ? Oui, sauf que les éditeurs sont aussi en train de se faire du souci, parce que pour eux l’échéance va être encore plus courte. Il faudra que les manuels soient parus pour septembre 2016, avec l’intégralité des cours dedans. Normalement, nous devrions voir rapidement tomber dans nos boites mail des propositions de travail d’éditeurs en manque d’auteurs.
Autre pierre d’achoppement : l’achat de ces manuels (si tant est qu’ils soient disponibles en temps et en heure). Dix bouquins neufs par élèves, ça commence à chiffrer pour un établissement. Allez, si on est sympa, on prend un manuel pour deux dans chaque discipline. Pour un bahut de 500 gamins, et en comptant 20€ par bouquin (mini) ça fait au bas mot 50.000 €. Payés par l’État. C’est-à-dire par nos impôts.
Si ça peut vous rassurer, ça va redonner un peu de liquidités au monde de l’édition scolaire et parascolaire.
Et c’est là que j’arrive avec ma mauvaise tête et que je pose une vraie question : pourquoi acheter des manuels scolaires ?
Pourquoi acheter des manuels scolaires ?
Une très jolie enquête de 2001 (commandée par qui, je vous le donne en 1000 ? ***) nous apporte LA réponse en chiffres (et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les chiffres donnent un caractère d’exactitude à tout) :
« Avec des manuels, 70% des élèves réussissent mieux, 66% ont plus d’autonomie, et 78% des professeurs effectuent moins de photocopies. Pourquoi ? »
Dans l’analyse de cette enquête, le manuel scolaire a pour l’élève plusieurs visages : symbolique, pédagogique, éducatif et culturel. C’est la base du savoir.
Pour l’enseignant, il est un outil d’application des programmes, une base documentaire, un recueil d’exercices, un support de différenciation.
Pour les parents, il est une trace des leçons, un support de dialogue, un objet symbolique qui « donne une certaine légitimité aux connaissances acquises à l’école » « Il est, en particulier dans les familles à faible capital scolaire, le référent, l’attribut de l’école par excellence. Les parents « s’y retrouvent ». Une institution dans laquelle les enfants ont des livres est conforme à leur image de l’école. »
Bref, les manuels scolaires, c’est l’arme ultime contre le décrochage scolaire, le dérèglement climatique et le respect de l’institution républicaine. Pour la résolution de la faim dans le monde et contre la prolifération nucléaire, on n’en est pas encore certains mais on devrait finir par trouver un lien.
Pourquoi ne pas acheter de manuel scolaire ?
Tant qu’à être encore une fois taxée de terrorisme pédago(go)gique, je ne vais pas y aller par quatre chemins. En 2016 je ferai tout pour dissuader mon établissement de l’achat de ces manuels. Et pas seulement pour des raisons économiques, même si je sais que ce sera le seul véritable argument qui pèsera dans la balance. Vous voulez des arguments ? En voila 10. Il doit y en avoir des dizaines d’autres…
- Dans de nombreuses matières, un manuel est obsolète lors de sa publication. C’est particulièrement vrai en géographie, puisque les données utilisées, compte tenu des délais de parution, ont au moins 3 ans, voire plus.
- Le manuel pousse les enseignants à l’encyclopédisme. Puisque le manuel doit être utilisable par tous, il propose tout ce que les programmes prévoient, voire même un peu plus.
- Le manuel propose des exercices qui, s’ils permettent de différencier ne permettent pas d’individualiser l’enseignement.
- Les manuels proposent des documents en nombre limité, dont la pertinence ne tient pas toujours dans le temps.
- Les manuels dits « numériques » ou « augmentés » sont soumis au droit d’auteur classique et ne sont à disposition des élèves que le temps de l’abonnement de leur établissement.
- Les manuels, même « numériques » ou « augmentés » ne peuvent être modifiés par les enseignants pour les adapter à leurs pédagogies ou à leurs élèves.
- Les manuels, même « numériques » ou « augmentés » ne peuvent pas être réutilisés par les enseignants pour une publication numérique.
- Les manuels, à force de ménager la chèvre et le chou, sont restés dans un entre-deux intenable. Les résumés de cours sont trop denses et les questionnements trop simplistes. Trop simples pour les profs. Trop complexes pour les élèves.
- Les manuels ne font pas confiance aux enseignants. En leur proposant un cours « clé en main », guidé de A à Z (y compris dans le Livre du professeur), il leur laisse à penser qu’il s’agit des seules « bonnes pratiques » possibles et rendent encore plus difficile toute innovation.
- Les manuels oublient que l’enseignant n’est plus seul face à ses élèves, face aux savoirs, face aux pratiques pédagogiques. Il ne laisse aucune place à la collaboration, au partage, à la mutualisation des savoirs et des savoir-faire.
La solution ?
Ce sera pour le billet suivant (qui était celui que je pensais écrire en commençant celui là, mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut ma bonne Lucette !).
PS : Je tiens à préciser que je ne mets pas dans le même sac les éditions LeLivreScolaire, dont les ouvrages, dans beaucoup d’aspects, se rapprochent de mon manuel idéal.
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* Et vous savez combien je vous aime !
** Pichrochole ? Kézaco ? Wikipédia est ton ami !
** La source est là.