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Anti-vademecum de la première heure de cours

C’est un joli marronnier et comme tous les ans, on voit fleurir un peu partout des articles de recettes pour ne pas rater sa grande première.
C’est particulièrement vrai cette année où la presse relaie les angoisses des néo-titulaires* qui vont se retrouver au charbon avec 18 heures de cours à assurer, en raison de la mise en place de la fameuse réforme de la formation des enseignants (aussi appelée avec un sens de l’art linguistique qui me laisse pantoise « masterisation »).
Je ne vais pas polémiquer, y’a des tas d’autres endroits pour le faire. Et puis si vous êtes un peu malins, vous savez ce que j’en pense.

Que doit donc faire un (bon) prof le jour de la rentrée des élèves ?

Puisque tout le monde dit que cette première heure est importante, c’est que ça doit être vrai. Oui, bon, c’est pas faux, mais c’est pas complètement vrai non plus.
Certains ont des recettes infaillibles apparemment, comme le collègue qui a raconté ce matin sur une radio périphérique qu’il commençait par dire à ses élèves qu’il était sixième kyu d’Aïkido, histoire d’avoir la paix.
La salle de classe vue comme un ring, oui, c’est une possibilité. Je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure, parce que c’est un coup à ce que Kévin et Manfred se prennent tout à coup d’un amour immodéré pour les arts martiaux… et que ça se finisse mal avant la fin de l’année quand ils viendront en cours en hakama avec un bokken.

En préparant ce billet, je suis également tombée sur de bien étranges choses (enfin quand je dis « étrange », c’est pour pas utiliser un gros mot), du style :

« Mon conseil pour qu’ils prennent de bonnes habitudes : j’attends le silence (complet) avant de prononcer le moindre mot… ils se rendent vite compte qu’il faut se taire… mais tant que tout le monde n’est pas debout, je ne parle pas ! Je regarde avec insistance celui ou celle qui s’est assis sans attendre l’autorisation… en général, ils finissent par se rendre compte que qqch ne va pas… Enfin, je balaie du regard un peu tout le monde, droit dans les yeux… et c’est parti : « bonjour à tous, asseyez-vous ». Si ils s’agitent, je me tais…. Ensuite j’explique : j’attends de pouvoir travailler avec eux dans de bonnes conditions, ce qui implique : être à l’heure, entrer dans le calme, attendre avant de s’asseoir, une prise de parole contrôlée, etc. »
« Pour la discipline, j’attends qu’un marlou se permette de bavarder ou de ricaner et je le descends immédiatement. En général, j’ai la paix grâce à ça. Je leur laisse croire que je n’ai peur de rien, en espérant qu’ils n’entendent pas mes dents claquer… »
– « Présente-toi en 3 minutes, demande s’il y a des redoublants et avec qui ils étaient l’an passé, demande qui préfère l’EPS à ta matiere, ça permet de repérer ceux qui sont en difficulté et de les faire assoir devant l’un les uns des autres pour pas bavarder. Demande si certains ont des problèmes de vue ou d’ouïe pour les placer aussi. »

Exceptionnellement vous comprendrez que je ne divulgue pas ma source….. tellement je trouve que certains forums sont mal fréquentés.

J’arrête là, je me fais du mal.

Et puis surtout, je crois qu’il n’y a pas de réponse à cette question. Pas de « recette » imparable. D’ingrédient miracle.
Sinon, ça se saurait, et tous les mômes de France, de Navarre et d’outre-mer auraient le même premier cours depuis un siècle.

En revanche, je suis quasi certaine qu’il y a des choses à ne pas faire….

Ce qu’il vaut mieux Ne PAS faire le jour de la rentrée

– Ne pas être soi-même.
Parce que même si le rôle d’enseignant est un rôle de composition, plus vous vous éloignerez de la réalité, plus ce sera difficile à tenir.

Croire que la meilleure des défenses c’est l’attaque
Ils sont 25 (plus ou moins, je sais) et vous êtes tout seul. À moins d’en venir à l’instauration d’une dictature, ce n’est pas vous qui allez gagner.
Et même les dictateurs….

Faire remplir des fiches d’identité
Vous savez, celle avec la profession des parents et le nom de leur poisson rouge. Les infos importantes, vous les trouverez au secrétariat, les autres ne vous serviront à rien. Sauf à rigoler quand un élève vous écrira que son père est « moteur » chez Renault (certifié authentique)

Avoir peur
Je sais, c’est un peu pontifical comme conseil. Mais bon, c’est jamais que des gosses.

Faire la liste des manquements et des sanctions possibles
Les élèves aussi sont présumés innocents….

Leur faire une visite détaillée du programme de l’année
Les plus jeunes ne comprendront pas grand chose et les plus grands ne se souviendront de rien. Gardez ça pour la réunion avec les parents s’il y en a une, et encore, restez dans les grandes lignes.

Mettre le doigt ou ça fait mal
Demander qui est redoublant, qui aurait besoin d’un chien d’aveugle, où ils ont passé leurs vacances… (C’est particulièrement cool pour le redoublant à double foyer dont les deux parents sont au chômage).

– Leur dire que vous attendez d’eux qu’ils travaillent
Ils ont quand même compris qu’ils étaient pas venus là pour faire une bataille de crème chantilly….

Leur dire que vous allez les respecter
Parce que c’est normal de respecter les autres, même si ce sont des élèves. Faites-le, ils s’en rendront compte.

Vous dire que vous devez absolument connaitre leurs noms dès le premier jour
Si vous saviez à quel point je suis une handicapée des noms de mes élèves. En plus, Jennifer, ca la fait bien marrer quand je l’appelle « Choupette » parce qu’elle et moi savons très bien que je vais me gourer si j’essaie de l’appeler par son prénom. (Bon évitez quand même d’appeler Kévin « Choupette » parce que ça pourrait le vexer).

Oui mais bon alors ? Qu’est ce que je fais ?

Dites leur bonjour. Donnez leur votre nom.
Observez-les. Regardez les interagir, s’installer, poser leurs affaires sur le bureau. Repérez les introvertis, les expansifs, les leaders… Profitez du moment.
C’est la scène d’introduction du film de l’année scolaire.
Comme dans la scène d’ouverture du film de Lawrence Kasdan « Les copains d’abord » (Introduction sous-titrée en brésilien, mais cela ne gêne pas la compréhension). On y voit les différents protagonistes apprendre la mort d’un ami, leur réaction et leur trajet jusqu’au lieu de l’enterrement. Aucun mot n’est dit, mais tout est dit et on sait tout d’eux en quelques instants (et même les causes du décès**).

Et puis, très rapidement, surprenez les. Soyez inventif. Faites les travailler sans qu’ils s’en rendent compte. Trouvez quelque chose à leur faire faire qui vous donnera des indices sur leurs compétences. Donnez-leur le choix de la façon dont ils vont faire les choses.

Si vous la jouez bien, cette scène d’introduction, vous leur donnerez envie de participer à l’épisode suivant.
Et vous aurez augmenté vos chance de faire de cette année scolaire une « sequel » réussie.

Allez, 133 heures chrono avant le début du premier épisode !

PS 1 : Si vous avez des idées géniales de truc génial à faire en première heure, ce serait dommage de ne pas en faire profiter tout le monde : les commentaires sont aussi là pour ça.
PS2 : Philippe Watrelot a répondu aux questions du magazine l’Etudiant et donne ses conseils aux jeunes profs. A lire !

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* à l’attention des Keskelledit, un(e) néo-titulaire est un enseignant qui n’a pas encore vu sécher l’encre de son attestation d’admission au concours d’entrée dans la noble profession des enseignants. On les appelle aussi les TO (T « zéro »), mais bon, là c’est vraiment quand on est intime avec eux….
** Pour l’anecdote, et complètement hors sujet (mais c’est un film que j’aime bien), le rôle du mort est joué par Kevin Costner. La brièveté de son rôle après le montage (vous aurez tout vu de lui après ces 5 mn) lui a valu en échange le premier dans Silverado, qui lança sa carrière.

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