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Former des enseignants, une tâche complexe.

La Refondation de l’École initiée par Vincent Peillon s’appliquera à partir de la rentrée 2016. C’est sans doute la réforme la plus ambitieuse qu’ait connue la maison Éducation Nationale depuis sa création, à la fois parce qu’elle propose une vision globale de ce que doit devenir l’école de la République et aussi parce qu’elle se donne des moyens inégalés pour la mettre en œuvre.

Parmi les moyens engagés, l’effort de formation est impressionnant. Six journées de formations proposées à tous les enseignants des collèges (ne mesurant qu’au doigt mouillé, je dirais que cela représente plus de 250.000 personnes et donc, 1.500.000 journées de formation). Et pour la première fois, on a l’intelligence d’organiser ces formations en amont de l’entrée en vigueur des textes.

Sauf que….
Sauf que former des enseignants, c’est le truc le plus improbable qui soit.

Je ne vais pas m’appesantir sur les discours et les méthodes de ceux qui s’opposent par principe à la réforme, refusent cette formation et qui prétendent représenter 80% des enseignants. Cette intersyndicale ne représente que 80% …. des 40% d’enseignants qui se sont exprimés lors des dernières élections professionnelles. Soit donc seulement 30% des enseignants ! Grains de sables ou chevaux de Troie ne m’intéressent donc guère.

Les enseignants sont des professionnels de la formation, par essence même. Et c’est justement là que ça se complique.

Un élève va en cours. Un adulte va en formation. Les enseignants s’ils le souhaitent peuvent suivre des stages…. Le changement de terme cache beaucoup de non-dits qui me turlupinent depuis un moment.

Regardons d’abord la théorie.

Un cours, c’est un exposé de connaissances. Un spécialiste d’un domaine s’adresse à un public qui est, par définition, moins savant, mais qui le sera, théoriquement, davantage à l’issue du cours.
Une formation, c’est un moment d’acquisition ou de développement de compétences professionnelles. On se forme à de nouveaux produits, à de nouvelles techniques…
Un stage, c’est un moment de pratique professionnelle. On établit un contrat entre un maître de stage et un stagiaire, qui donne lieu à un rapport de stage et à une évaluation.

Les enseignants sont initialement formés à l’acquisition d’un haut niveau de connaissances dans une ou deux disciplines et sont ensuite chargés de transmettre une partie de ces connaissances à un public de jeunes adolescents (je parle pour le collège), suivant un programme national préalablement établi. Les enseignants savent donc « faire cours » et le seul type de formation (au sens large) dont ils auraient donc besoin c’est de « cours » afin de mettre à jour leurs connaissances, en assistant à des conférences menées par d’éminents spécialistes de leurs disciplines.

Leur formation continue est généralement désignée par le vocable « stage ». Des stages sans contrats, sans pratique professionnelle et sans évaluation. Donc, ce ne sont pas des stages mais on les appelle comme ça.

Pour accompagner la réforme du collège, ce sont donc des formations qui sont proposées aux enseignants. Pour accompagner le changement des pratiques professionnelles. Ces formations sont en particulier prévues pour aider à la mise en œuvre des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) mais surtout l’Accompagnement Personnalisé (AP) qui est au cœur de cette volonté de refondation de l’école et qui est, pour le coup, le point le plus « révolutionnaire » de la réforme.

Sauf que pour vouloir faire évaluer sa pratique professionnelle, il faut en voir la nécessité. Enseigner est un métier complexe, difficile. Et quand on a réussi à trouver un mode de fonctionnement qui permet de travailler à peu près sereinement, c’est pas facile de voir arriver un projet qui vous propose de modifier cet équilibre. Au mieux, ça fait peur. Au pire… ça fait peur aussi.

Étant donné que la réaction normale de l’humain face à la peur, depuis qu’il est descendu de son arbre, est le rejet et/ou la fuite, la réaction face à ces formations est le rejet ou la fuite.

En fait, à bien y réfléchir, quand j’entends des collègues me dire que « les stages c’est nul », il ne parlent jamais des « stages-cours » mais toujours des « stages-formations ». Et les formations proposées par l’institution font rarement le plein.

En même temps, être « formateur d’enseignants » c’est vraiment un truc casse-gueule. Justement à cause de cette peur/rejet.
Quand on est formateur, on est en général convaincu que ce à quoi on vient former les gens est une bonne chose, un progrès. Le plus souvent même on pratique dans nos classe ce dont on va parler. Vous pourriez penser que justement, puisqu’on le pratique, on va montrer que c’est positif et que les collègues vont alors cesser d’avoir peur. Mais non en fait. Parce que vous pourrez toujours montrer que c’est possible et positif, ils vous répondront toujours que c’est parce que c’est vous, parce que ce sont vos élèves et que c’est pas reproductible avec leurs élèves à eux, dans leur établissement à eux, avec leurs collègues à eux… À de rares exceptions près, qu’on croisera de préférence quand ces formations ont lieu avec des gens qui ont choisi de venir en formation.

Les formations pour la mise en œuvre de la réforme du collège ne se font pas sur la base du volontariat. C’est à la fois inévitable et problématique.

C’est sans doute pour cela que les formateurs volontaires ne se bousculent pas au portillon.

Et que si mes collègues enseignants avaient un peu de décence, ils essaieraient au moins de ne pas leur compliquer la tâche.

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