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L’autonomie des élèves

Je change un peu de sujet ce matin (mais je reviendrai sur le thème de l’évaluation), parce que ce que je vois en ligne parfois m’énerve vraiment.
Par exemple, les sites qui proposent des recettes magiques du style  « Les 10 choses à faire pour rendre vos élèves autonomes ».
Ce genre de chose est parfait pour à la fois rassurer faussement certains enseignants qui pensent en les lisant qu’ils rendent leurs élèves autonomes alors qu’ils ne le font pas, et culpabiliser les autres qui se disent qu’ils ne font pas comme ça alors qu’ils pensent rendre leurs élèves autonomes. Par exemple, on peut lire ici où la (je préfère ne citer personne, parce que là, je vais vraiment me fâcher avec des gens) : « pour rendre les élèves les élèves autonomes, il faut développer la pratique de l’oral », « il faut favoriser le travail de groupe ».

Bein voyons. C’est vrai quoi, c’est facile. Un élève qui parle, il est autonome. Un élève dans un groupe il est autonome.
Oui, il a l’autonomie de dire ce que le prof lui a demandé de dire et de faire ce que le prof lui a demandé de faire.
Mais comme ce n’est pas ça l’autonomie, Kévin (qui a besoin d’expérimenter son autonomie, c’est ça grandir !) va aller la chercher ailleurs et passer son temps à papoter avec Manfred pendant qu’on lui aura demandé de préparer avec Jennifer, « en toute autonomie », trois phrases pour décrire la vie dans les tranchées.

Je prends un autre exemple. Un enseignant souhaite faire mémoriser à ses élèves  la localisation des dix plus grandes agglomérations mondiales. Alors, il va les laisser travailler « en autonomie » et leur dire : « Prenez votre livre page 152 et complétez le planisphère que je vous ai donné. Je relève les feuilles dans 20 mn. »

Je maintiens que l’autonomie, ce n’est pas ça.

Dans mon dernier exemple, le prof a fait 75% du travail (le plus intéressant) et laissé à ses élèves les 25% restants, en leur donnant une (et une seule) procédure à suivre, dans un temps limite fixé. (En plus le résultat est pas forcément juste parce que le bouquin de géo propose parfois une carte réalisée avec des données de 1999… mais c’est un autre sujet…)
Celui qui fait cela confond autonomie et dressage.

Quand vous avez appris à marcher… on vous a d’abord tenu la main. Mais on vous a progressivement lâché la main, et vous êtes tombé plusieurs fois, sans gravité (les couches ça sert aussi à ça !) et vous étiez entourés de gens qui vous encourageaient à vous relever en vous disant, « C’est pas grave, tu vas y arriver ».
Aujourd’hui, vous marchez sans qu’on vous tienne la main.

Avec Jennifer, il faut faire la même chose.
Lui donner l’envie d’essayer d’avancer en lui disant que si elle se trompe, ce n’est pas grave et qu’elle réussira sûrement mieux la prochaine fois. Et lui lâcher la main, dès qu’on le peut.
Avoir cette attitude de bienveillance que décrit très bien Philippe Watrelot dans l’excellent billet « Qu’est ce qu’un bon prof ? » dont je vous recommande chaudement la lecture (et l’affichage en salle des profs dès le matin de la pré-rentrée !).

Comment faire alors ?

Je vais garder mon exemple sur les agglomérations et parler un peu des compétences mises en jeu.
Dans l’exemple ci-dessus, les compétences demandées aux élèves sont les suivantes :
– trouver la bonne carte p.152
– lire la légende
– placer sur une carte vierge ce qu’on voit sur une autre
– faire un travail qui a l’air simple (mais pour certains dyslexiques, ça peut être extrêmement difficile) en un temps limité.

Imaginons qu’à la place de cela le prof ait dit : « Imaginez que vous travaillez pour un fabriquant de matériel urbain (au choix : extincteurs, feux rouges, panneaux publicitaires, vélos en libre-service….) qui souhaite vendre ses produits dans les  dix plus grande villes du monde. Comment faites vous pour  en avoir la liste ? Et comment présentez vous le résultat de vos recherche au fabriquant ? » (Si on voulez corser l’histoire, on peut leur demander de choisir dans quelle ville il serait le plus malin de s’installer.)

Ensuite on peut faire travailler les élèves par groupe (libres ou prédéterminés) pour leur demander de prévoir leurs tâches et d’en établir la liste (trouver la liste des plus grandes villes, le support de présentations…). Ensuite on valide les démarches de chacun des groupes, sans hésiter à laisser des élèves partir dans une direction un peu fausse en canalisant éventuellement les projets qui n’ont aucune chance d’aboutir. Ensuite, il n’y a plus qu’à regarder les élèves travailler en autonomie. Répondre à leurs questions, leur donner le matériel dont ils ont besoin (cartes, brouillon, crayons de couleur…) , les encourager, valider en passant au dessus d’une épaule l’avancée du travail… Et regarder le résultat.
Bonheur pédagogique garanti.

Quelle compétences auront été mises en œuvre par les élèves ?
– rédiger un plan de travail négocié au sein d’un groupe
– trouver une source et la valider (et se donner des critères de validation !)
– trouver les informations dont ils ont besoin
– choisir une forme de communication pertinente et la réaliser
– faire une carte thématique à partir d’un support vierge
– connaitre et localiser les dix plus grandes villes du monde (ce qui était quand même le but en terme de connaissances)
On peut même imaginer jouer le jeu jusqu’au bout et demander à ce que certains élèves viennent présenter le résultat de son travail au fabricant (le prof) à l’oral.

D’accord, ça mettra peut être (sûrement) plus de temps que les 20 mn de l’exemple précédent, mais le résultat aura quand même plus de tenue en terme d’efficacité pédagogique.
Et en plus, pendant la séance, Kévin et Manfred parleront de critères de sélections de leurs villes plutôt que du dernier match du Barça.

Je n’invente rien, ça s’appelle la pédagogie de projet.
Et ça marche.


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